France, pays de mission

Le titre de l’ouvrage publié par les abbés Henri Godin et Yves Daniel en 1943 est resté célèbre. Il est encore connu de certains catholiques de ma génération, même si bien peu sans doute l’ont effectivement lu. La période estivale vient de me rappeler cette formule, mais de manière bien plus directe encore que dans la perspective des auteurs de l’époque. Il s’agissait alors de plaider, face à la déchristianisation de la France et à la coupure avec les milieux populaires, pour une sortie de l’Église hors de ses murs. Désormais, la France (et plus largement notre Europe occidentale) est redevenue un pays de mission au sens le plus classique du terme, avec la présence croissante de prêtres africains qui desservent nos paroisses.

Cela se pratiquait depuis longtemps déjà à la faveur des grandes vacances. Dans ma paroisse, pendant plusieurs années, un prêtre béninois assurait les messes l’été. Il prenait en charge d’ailleurs l’ensemble du doyenné, qui regroupait trois paroisses. Dans celle de mes parents, c’était un prêtre togolais, et dans celle de mes beaux-parents, un camerounais.

Cela ne concerne plus seulement l’intérim estival. Désormais, de nombreuses paroisses françaises sont confiées de manière permanente à des curés africains. Dans la région de montagne où je passe quelques jours de vacances, la paroisse vient ainsi d’apprendre ce dimanche le départ du dernier curé autochtone : la vallée ne sera plus desservie que par des prêtres africains. C’est un petit choc pour les locaux… La consultation de l’ordo de mon propre diocèse, pourtant encore favorisé pour ce qui des vocations, indique que déjà 15% du clergé est composé de prêtres étrangers en mission dans le diocèse mais incardinés ailleurs, très majoritairement africains, plus quelques malgaches, haïtiens et vietnamiens.

Si cela atteste avant tout du manque de prêtres en France (et, pour remonter à la cause, du peu d’attachement de nos communautés à susciter des vocations sacerdotales), cela n’en constitue pas moins une ironie de l’histoire. Pendant des siècles en effet, des missionnaires européens sont allés évangéliser le continent africain. Le mouvement était à sens unique et cela ne s’est pas toujours fait sans heurts. Bien sûr, les religieux partis alors étaient sincèrement soucieux de répandre l’Évangile. Mais ce dynamisme missionnaire recoupait très bien les intérêts plus matériels de la France. Les organisations missionnaires, d’ordre religieux, ont participé au mouvement, d’ordre politique, d’expansion de la sphère d’influence française. Jules Ferry ou Gambetta, grands anticléricaux dans le cadre franco-français, étaient bien conscients que « l’anticléricalisme ne s’exporte pas » et qu’il était sage que l’État s’appuie sur les missions chrétiennes dans son aventure coloniale.

Les temps ont changé, y compris en ce qui concerne la démographie ecclésiastique. Les diocèses français peinent à pourvoir toutes les paroisses et les regroupements ou redécoupages n’y suffisent plus. En attendant, soit que l’Esprit saint suscite manu militari un renouveau massif des vocations sacerdotales, soit que l’Église repense en profondeur son organisation interne et l’équilibre entre les ministres ordonnés et l’ensemble des baptisés, il faut bien trouver des solutions pour assurer le service de nos paroisses. En l’occurrence, l’une des réponses qui se développe actuellement est le recours à des prêtres africains, qui viennent aujourd’hui au secours de notre Église et de ses trop pauvres vocations.

Ce n’est pas, loin s’en faut, la première fois dans son histoire que la France regarde hors de la métropole quand elle ne sait plus faire face elle-même à ses propres missions. Mais autrefois, c’était surtout quand on manquait de chair à canon qu’on se souvenait de l’existence de tirailleurs sénégalais ou de harkis, qu’on tâchait vite d’oublier dès l’armistice ou la signature de l’indépendance. Plus récemment, quand il a fallu reconstruire la France après la guerre, puis en période de prospérité économique, nous avons largement ouvert nos portes.

Ce qu’il y a de notable dans le changement qui s’opère actuellement, c’est qu’il s’agit désormais d’appeler des étrangers pour leur confier des responsabilités. Le phénomène n’est pas propre à l’Église. Ainsi dans le monde hospitalier, faute de praticiens, il est fait de plus en souvent appel à des médecins étrangers, venus de pays plus pauvres. Il ne s’agit plus seulement de recruter des agents de surface étrangers, mais des médecins. Il ne s’agit plus seulement de recruter des sacristains étrangers (dans la paroisse où j’étais petit, j’en ai connu deux : un portugais puis un vietnamien), mais bien d’appeler des prêtres.

Cette situation présente pour nos paroisses une richesse et un risque étroitement mêlés. La richesse, c’est de nous rappeler le caractère universel de l’Église catholique dans une période marquée par la tentation des replis nationaux. À une époque où l’étranger est de plus en plus soupçonné, il n’est pas anodin que nos communautés accueillent des africains – et qui plus est, pour leur donner la première place. Cela vaudra sans doute à l’Église de passer pour coupable de collusion avec l’ennemi aux yeux des tenants du grand remplacement, qui veulent bien défendre l’héritage patrimonial chrétien à condition de le vider de l’Évangile et qui, dans ces pasteurs, verront d’abord des étrangers à renvoyer avant de voir des prêtres à accueillir.

Mais on ne peut pas ignorer non plus le risque lié à la différence culturelle. La greffe ne prend pas toujours, soit que les prêtres africains se trouvent confrontés à l’hostilité de paroissiens qui ne cachent pas leur racisme, soit que les paroissiens se trouvent déconcertés par des attitudes pastorales ou des homélies un peu trop décalées par rapport à notre mentalité occidentale.

Ce décalage m’interroge sur l’attention accordée à la préparation de ces prêtres au milieu où ils exerceront leur sacerdoce. Je repense par contraste à la tradition de très longue formation des Missions Étrangères de Paris avant d’envoyer un missionnaire (en Asie, en l’occurence). Dans une moindre mesure, car l’enjeu est moindre, la DCC prend soin de bien préparer les jeunes français qu’elle envoie en coopération dans des pays très différents. Il ne me semble pas que pour ce mouvement inverse, on se donne autant de peine pour préparer les prêtres africains à l’exercice de leur ministère dans nos contrées.

Le problème est d’ailleurs sans doute bien plus large et ne concerne pas seulement l’accueil du clergé étranger. Nous donnons-nous encore la peine d’intégrer vraiment ? Il me semble qu’on fait encore un peu trop comme s’il suffisait d’être arrivé sur le territoire national pour que tout se passe bien. Ça ne marche hélas pas comme ça. Les associations d’aide aux étrangers (au sein desquelles œuvrent de nombreux chrétiens) savent bien la difficulté de trouver sa place ici – à plus forte raison pour ceux qui arrivent de pays en guerre. Or le sujet est absent du débat public. Entre ceux qui n’acceptent pas la moindre réserve sur l’immigration et crient à la xénophobie ou au racisme, et ceux qui à l’inverse refusent le principe même de toute immigration et hurlent au grand remplacement, il semble devenu impossible de dire qu’on peut accueillir encore du monde – et qu’on en a même besoin, on le voit bien pour les prêtres ou les médecins – mais qu’il y a des conditions pour que ça se passe bien. Mais c’est, comme toujours, une démarche plus exigeante que les postures simplistes qui saturent l’espace ambiant.

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