« Heureux plutôt ceux qui écoutent »

Icône de la Dormition de Marie

Quand on aime, on ne compte pas : pour les plus grandes fêtes, l’Église ne lésine pas et nous offre non pas une, mais plusieurs messes, chacune ayant ses propres lectures. Le cas le plus connu est sans doute Noël, avec la messe de la nuit et celle du jour (sous oublier celle de la veille au soir et celle de l’aurore). C’est aussi le cas pour l’Assomption avec deux messes, même si, pour ma part, je n’ai jamais entendu parler d’une célébration de la messe du soir.

Cette année, lisant pour une fois les lectures de cette messe de la veille, j’ai été marqué par l’évangile, et surtout par sa résonance avec celui de la messe du jour. Pour la messe du jour, c’est le récit de la Visitation : Marie va chez sa cousine Elisabeth qui la salue en la reconnaissant comme mère du Sauveur. Un texte qui est la source de deux de nos plus grandes prières : le Je vous salue Marie (la salutation d’Élisabeth) et le Magnificat (la réponse de Marie). Un évangile plein d’allégresse.

La veille au soir, le ton est bien différent. À une femme inconnue qui louait sa mère pour l’avoir enfanté et allaité (« Heureuse la mère qui t’a porté en elle, et dont les seins t’ont nourri ! »), Jésus réplique de façon cinglante : « Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la gardent ! » De prime abord, on se dit qu’on a connu façon plus aimable d’honorer sa mère. Surtout que ce n’est pas seule fois que Jésus répond assez sèchement quand on évoque ses liens familiaux.

Si cette réponse peut paraître cassante, elle n’est pourtant pas un désaveu de Marie. En effet, Marie fait partie, par excellence, de « ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la gardent ». Les deux évangiles, de la veille et du jour, se font alors directement écho, puisqu’Élisabeth à son tour qualifie Marie d’heureuse parce qu’elle « a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur ».

Malgré le caractère abrupt de sa réponse, Jésus ne conteste donc pas que Marie soit bienheureuse, mais il précise la raison pour laquelle elle l’est. L’honneur est sauf, Jésus n’aurait tout de même pas osé manquer de respect à sa sainte mère. Mais attention à ne pas aller trop vite et, dans le cadre de l’Assomption, à ne pas forcer la lecture pour voir dans cette réponse de Jésus une louange spécifique, quoi qu’un peu déguisée, de Marie.

Si Jésus avait voulu désigner spécifiquement Marie, et nous parler uniquement de la raison pour laquelle Marie est bienheureuse, il aurait pu dire : heureuse plutôt celle qui écoute la parole. Exactement comme Élisabeth l’avait dit quelques années plus tôt. Or ce n’est pas ce que dit Jésus qui, à un singulier (« heureuse la mère »), oppose bien un pluriel : « heureux ceux ».

En quelque sorte, Jésus descend un peu Marie du piédestal où elle trônerait seule en tant que mère du Sauveur, pour l’intégrer dans le groupe de ceux qui écoutent sa parole. À l’inconnue qui proclamait une béatitude spécifique de Marie au titre de l’enfantement du Christ, Jésus oppose – fermement – la béatitude commune de tous ceux qui écoutent sa parole.

La résonance de ces deux textes m’a beaucoup étonné, dans la cadre de la fête de l’Assomption. L’Assomption, c’est le dogme selon lequel Marie, ayant été conçue sans péché pour pouvoir engendrer le Sauveur, n’a pu connaître la mort, puisque la mort est la conséquence du péché. Dans la théologie catholique, Marie est ainsi entrée directement au ciel, corps et âme. Il y a donc un lien direct entre l’Assomption et l’Immaculée Conception, et ce lien est que Marie est la mère du Seigneur.

Et voilà que, le jour même de l’Assomption – la veille au soir, plus exactement – l’Église prend soin de nous faire entendre une parole de Jésus qui nous rappelle que Marie n’est pas à louer d’abord parce qu’elle a enfanté le Sauveur, mais parce que, comme tous les disciples, elle a écouté sa parole et l’a gardée – et qu’en ce sens, elle n’est pas « placée à part » mais qu’elle entre dans une lignée où figurent aussi tous les autres disciples qui ont à leur tour, hier, aujourd’hui et demain, écouté et gardé cette parole.

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