Saint Paul, mariage et célibat

Les Noces de Cana. Julius Schnorr von Carolsfeld, 1820 (musée Kunsthalle de Hambourg)

Ce dimanche, les lectures de la messe nous faisaient entendre l’une de ces lectures qui paraissent aujourd’hui assez rebutantes. Il s’agissait d’un extrait de la première lettre aux Corinthiens, où l’apôtre Paul explique, pour faire court, que les époux étant naturellement préoccupés avant tout de plaire à leur moitié et ayant le souci des affaires de ce monde, ils ne peuvent être tout entiers au Seigneur, contrairement aux célibataires qui, eux, se sont consacrés entièrement à Dieu.

Outre le fond, qui mérite d’être discuté (j’y reviendrai) c’est aussi la forme abrupte de ce jugement de valeur, assez entier, qui suscite inévitablement quelques crispations chez de nombreux fidèles – du moins, parmi ceux qui écoutent attentivement les lectures. Et, comme d’autres extraits des épîtres de Paul (comme l’inévitable épître aux Éphésiens où Paul demande aux femmes d’être soumises à leur mari), ce genre de lecture doit être un casse-tête pour les prêtres, quand ils doivent préparer sur sermon.

Ce dimanche, donc, j’attendais avec un peu de malice de voir comment notre vicaire allait s’en sortir, m’attendant à ce qu’il élude simplement l’épître. Pourtant, il ne l’a pas fait, même s’il s’est contenté de dire qu’elle mériterait d’être contextualisée. Ce en quoi il avait raison. Revenant de la messe, j’ai relu l’ensemble du chapitre 7, puis ceux qui précèdent et qui suivent et, même si cela n’a pas levé toutes les difficultés de ce passage, je dois bien reconnaître que la perception générale devient sensiblement différente.

Sur le fond, l’affirmation selon laquelle les époux seraient nécessairement divisés alors que les célibataires consacrés ne le seraient pas ne tient pas du tout la route. Ni d’un côté, ni de l’autre : des prêtres « divisés », on en a malheureusement eu bien trop d’exemples récemment ; et des époux qui ont vécu saintement leur mariage, comme un chemin vers le Christ, il y en a eu aussi. L’Église a même canonisé Louis et Zélie Martin, parents de Thérèse de Lisieux, sans avoir trop à redire sur le fait qu’ils étaient préoccupés des affaires de ce monde.

Mais ce qui m’a frappé, à la lecture du reste du chapitre, c’est à quel point Paul prend soin de mesurer la portée de son propos. Il est interrogé par les chrétiens de Corinthe et veut répondre, mais il précise à plusieurs reprises : « Ce que je dis là est une concession, et non un ordre » ; « je déclare ceci – moi-même et non le Seigneur » ; « je n’ai pas un ordre du Seigneur, mais je donne mon avis » ; « c’est là mon opinion ».

Autant de prudences de l’apôtre qui n’apparaissent pas du tout dans la lecture de ce dimanche et qui pourtant sont loin d’être neutres. Elles peuvent à tout le moins nous inciter à prendre avec un peu de recul ces propos qui ne sont pas assénés comme une vérité définitive et implacable, mais comme une forme de discernement par l’apôtre, en fonction de sa personnalité propre et surtout dans le contexte dans lequel il se trouvait.

En effet, j’ai aussi pris conscience de la situation de ces premiers chrétiens à qui s’adresse Paul. Ces hommes et ces femmes ont été touchés par la toute première évangélisation. La foi chrétienne leur arrive, toute neuve, comme un bouleversement radical, une nouveauté qui fait exploser toutes leurs références culturelles et sociales. Ils se posent alors une question qui peut nous paraître très éloignée aujourd’hui : jusqu’où leur conversion au Christ remet-elle en cause l’organisation de leur vie ? On imagine sans doute assez mal ce que cela a pu représenter, nous qui baignons dans des siècles de culture chrétienne.

La lettre de Paul ne dit pas exactement ce que les Corinthiens lui ont écrit, mais on comprend d’après la réponse qu’ils doivent s’interroger sur le fait qu’il faille ou non continuer à avoir des relations sexuelles. C’est dans ce contexte que se situe sa longue réponse, un peu laborieuse quand même, où l’on sent Paul assez mal à l’aise. Mais il ne cache pas sa conviction que le célibat est intrinsèquement supérieur à la vie conjugale, tout en reconnaissant que c’est une opinion personnelle (ce qui mériterait de très longs développements, mais cela dépasserait le cadre de ce modeste billet).

Un dernier point qui m’a marqué, c’est que Paul répond manifestement avec la perspective d’un retour imminent du Christ et avec un certain sentiment d’urgence (« je dois vous le dire : le temps est limité » ; « il passe, ce monde tel que nous le voyons »). Il n’est pas sûr qu’il aurait écrit la même chose s’il avait eu en tête que deux mille ans plus tard, nous serions encore là à le lire.

Notre jeune vicaire avait donc bien raison de se contenter de rappeler l’importance du contexte, puisqu’il m’a donné l’occasion de revenir au texte. Pourtant, au-delà du cas particulier de ce texte, cette réflexion m’a laissé songeur sur le biais de réception que peut induire le faire d’isoler ainsi les passages bibliques lors des offices.

Dans ce cas, la péricope1passage de la Bible découpé pour l’usage liturgique fait disparaître des éléments déterminants pour la compréhension du propos de l’Apôtre. Il en résulte des risques d’interprétation abusives. La lecture de dimanche peut ainsi donner lieu à une interprétation où la supériorité du célibat (consacré) sur la vie conjugale serait une vérité de foi absolue et indiscutable, alors que précisément, saint Paul prenait soin par ailleurs de ne pas présenter les choses ainsi. De fait, l’Église n’a cessé au fil du temps, et tout particulièrement sous le pontificat de Jean-Paul II, de mieux comprendre la valeur propre de l’engagement conjugal – assez loin de la vision présentée, en son temps, par l’apôtre Paul.

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