La grande épreuve, Étienne de Montety

Les noms de lieux et de personnes ont bien sûr été changés. Mais le roman d’Étienne de Montety, directeur du Figaro littéraire, s’inspire de manière directe de l’assassinat du père Jacques Hamel, égorgé dans son église de Saint-Étienne-du-Rouvray, le 26 juillet 2016.

Commençons par un vrai plaisir : l’ouvrage est très bien écrit. Le prix du roman que lui a décerné l’Académie française n’est pas usurpé. On dévore d’une traite les pages où alternent les parcours des cinq personnages principaux. On suit de l’intérieur l’évolution de chacun. Leurs états d’âme, leurs doutes, leurs motivations, leurs frustrations et leurs espoirs sont remarquablement décrits. Le roman évite aussi un manichéisme qui aurait été tellement tentant dans la circonstance, avec les purs d’un côté et les méchants de l’autre. Même si, à la fin, il y a bien deux assassins et une victime. Mais les personnages ne sont pas définis, assignés a priori dans ces rôles. Ils deviennent ce qu’ils seront au fil de leur parcours, au gré des rencontres, des circonstances de la vie, de la découverte de leur histoire personnelle et, au milieu de tout cela, de leurs choix.

Au fil des pages, la frontière est incertaine entre fiction et réalité. C’est un roman, certes, mais il est si directement inspiré de l’histoire du P. Hamel que cela laisse un sentiment ambigu. La proximité est telle qu’on finit par se laisser aller à superposer, voire substituer, la fiction à la réalité. Ce curé qui en pince pour une jeune et jolie paroissienne, est-ce le p. Hamel ou le p. Tellier ? Les assassins du p. Hamel se sont-ils vraiment radicalisés parce que tout le monde les traitait d’arabes ou parce qu’ils avaient besoin de réaffirmer leur autonomie après avoir été entretenus par une cougar ?

Les efforts pour éviter l’opposition manichéenne entre bons et méchants n’ont pas évité, en revanche, que les personnages soient en fin de compte très typés – pour ne pas dire caricaturaux. Il y a le bon vieux curé conciliaire, le jeune paumé de banlieue, les parents français moyens insipides, le flic ténébreux… Les deux jeunes qui basculent dans l’islamisme apparaissent en fin de compte comme de parfaits minables, à qui l’islam radical offre l’illusion de reprendre la main sur une vie médiocre.

La progression vers le drame final apparaît comme une démonstration, un exposé des motifs. Le récit semble construit avec une visée précise, pour servir un propos sur la société. C’est manifeste avec le personnage de la petite sœur Agnès. Elle ne joue aucun rôle dans l’histoire, sinon dresser la comparaison entre le délitement supposé de la foi chrétienne et la vigueur de l’islam.

Cette vision-là traverse et semble dominer tout le livre : un christianisme qui s’efface, en face d’un islam qui prendrait sa revanche. Des chrétiens qui s’oublient, des musulmans qui se retrouvent. Des églises vides, des mosquées pleines. Il n’est pourtant pas sûr que la réalité soit aussi simple. En particulier sur l’idée de la ferveur musulmane.

En refermant le livre, je suis resté avec une interrogation sur ce postulat. Il repose, à l’évidence, sur des faits tangibles et incontestables. Mais le doute porte davantage sur l’interprétation qu’il faut en faire. Le récit montre d’ailleurs tout autre chose : il n’y a pas l’ombre d’une ferveur mystique dans la radicalisation des assassins. Ils apparaissent comme deux abrutis qui ne comprennent strictement rien à l’Islam et sont motivés avant tout par le rejet d’une société où ils n’ont pas, ou plus, été capables de prendre leur place. Sans oublier l’excitation de la transgression qui joue à plein sur eux.

Dans son livre sur l’islamisme radical (qui a fait l’objet d’une précédente recension), Adrien Candiard montrait bien, d’ailleurs, que le fanatisme reposait bien plus sur un défaut de religion que sur un excès.

Cela étant, ce livre constitue – hélas – une bonne illustration de l’évolution de la société française telle que l’exposait Jérôme Fourquet dans L’archipel français (qui fera peut-être aussi un jour l’objet d’une recension ici…), avec des individus évoluant dans des milieux totalement hermétiques, qui au mieux s’ignorent, au pire se haïssent, mais ne se comprennent absolument plus et s’éloignent irrémédiablement les uns des autres. Le constat n’est pas réjouissant, et la certitude d’avoir un authentique martyr en la personne du père Hamel ne suffit pas à éclairer ce sombre panorama.

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