Le procès de l’attentat de Saint-Étienne-du-Rouvray par la cour d’assises spéciale de Paris fut un événement judiciaire important, à la hauteur de l’émotion soulevée par le meurtre du père Jacques Hamel, au cours d’une messe qu’il célébrait, le 26 juillet 2016.
Mais il s’y est également produit, de façon plus inattendue, un événement spirituel. Dans l’attitude des plaignants, pendant les audiences comme avant ou encore juste après le prononcé du verdict, dans la réaction des accusés au fur et à mesure du procès : quelque chose a dépassé le seul cadre de la justice, tout en assumant entièrement celle-ci.
Bien sûr, pour les accusés, on ne pourra jamais tout à fait exclure la possibilité d’une part de mise en scène, pour tenter d’adoucir le verdict. Mais pourtant, même des avocats et journalistes habitués des prétoires ont reconnu le caractère exceptionnel, « jamais vu », de ce procès.
Trois semaines après le verdict, je reste encore frappé par ce qui s’est passé. Malgré une actualité très dense, j’aimerais ne pas tourner trop vite la page pour passer à autre chose, mais prolonger et méditer encore un peu ce que certains ont qualifié d’instant de grâce.
Une parole qui touche
C’est tout d’abord la réception du témoignage de foi de Guy Coponet ou de Roseline Hamel qui m’a marqué. On se désole parfois que l’Église soit inaudible. Et trop souvent, elle l’est en effet. Ad extra, lorsqu’elle s’adresse au monde, et parfois même ad intra. Les raisons ne manquent pas, depuis l’usage d’un vocabulaire ou de références qui ne sont plus comprises jusqu’aux contradictions insupportables entre ce qu’elle annonce et ce qu’elle vit.
Et voilà que le témoignage d’humbles fidèles a touché au cœur, non seulement ceux qui assistaient en observateurs, mais encore – et c’est le plus remarquable – les accusés eux-mêmes.
L’Église avait montré il y a quelques mois son plus affreux visage. Le manque de clairvoyance mais aussi de courage et d’honnêteté de ses plus hauts responsables face aux abus et aux crimes a éclaté au grand jour. Mais au cours de ce procès, ce sont de simples croyants qui ont montré le plus beau visage de l’Église.
L’Église peut être entendue et toucher les cœurs quand elle se tient au plus près de son Seigneur. Quand les chrétiens ne tiennent pas une « parole d’Église » mais vivent fidèlement l’Évangile.
Le signe de contradiction
Il n’est pas possible, ici, de se réfugier dans le « signe de contradiction », en invoquant l’idée que l’Église devrait être incomprise si elle annonce une parole qui dérange, une morale qui bouscule – allant parfois jusqu’à jeter la suspicion sur ceux qui braderaient la radicalité de la foi pour la rendre accessible. Une telle accusation serait indécente au regard du martyre du père Hamel, qui nous indique ce qu’est vraiment le signe de contradiction.
Je remarque au passage que les deux prêtres qui, en France, ont été des exemples récents de martyre (le père Hamel et le père Olivier Maire en Vendée) n’étaient pas des radicaux, tenants d’une ligne identitaire, mais des « conciliaires » assumés. Et l’on peut aussi remonter aux moines de Thibirine ou à Mgr Claverie en Algérie ou encore au père Roberto Malgesini en Italie.
Un geste qu’une parole accompagne
Ce qui a touché, ce n’est d’ailleurs pas qu’une parole, mais bien un témoignage. Celui-ci s’est exprimé lors du procès non seulement par des mots, mais encore par des actes. Ainsi de Roseline Hamel allant tenir les mains des accusés juste avant le verdict, ou de la fille de Guy Coponet s’approchant du box pour donner un mouchoir à l’un des accusés. Ou de Roseline Hamel, encore elle, restant devant les grilles du palais, plusieurs heures après le verdict, à la nuit tombée, pour réconforter la famille d’un des condamnés.
Toute notre liturgie repose sur l’accord entre le geste et la parole, comme nous le chantons parfois lors des baptêmes : « Il l’a sanctifiée par le bain d’eau qu’une parole accompagne ». Ce qui est vrai dans la liturgie est vrai aussi dans toute notre vie. Nos paroles doivent être accordées à nos actes pour devenir un véritable témoignage.
« Justice et paix s’embrassent »
Ce procès nous a rappelé aussi la nécessité de la justice, au sens civil, y compris dans une perspective de paix ou même de pardon. Bien sûr, face à cet attentat perpétré au vu et au su de tous, qui fit la une des journaux, il ne serait venu à l’esprit de personne de contourner la justice. Mais il est des injustices et même des crimes qui sont commis plus discrètement.
Or face au mal et aux injustices plus cachées, il arrive dans l’Église que nous en appelions directement au pardon, comme s’il pouvait dispenser de rendre justice. Cela a été mis en lumière dans le dévoilement des crimes sexuels et des abus de pouvoir. Et c’est pire encore lorsque l’on prétend pardonner à la place des victimes ou qu’on impose à celles-ci de pardonner pour se dispenser d’avoir à leur rendre justice. Le pardon est alors employé comme moyen de soustraction à la justice.
C’est méconnaître toute la Bible qui, face au mal, réclame justice – et la justice au sens premier, pas métaphorique, comme l’expose très bien le dernier ouvrage du frère Philippe Lefebvre.
Le psaume 84 le dit pourtant de façon magnifique : « Justice et paix s’embrassent ». La possibilité de retrouver la paix nécessite que justice soit rendue et le pardon, s’il est imaginable, doit être pensé dans la justice, pas à sa place.
Par-delà la sanction
Si la recherche de la paix et le même le désir de pardon ne s’opposent pas à la justice, peut-être l’empêchent-ils toutefois de se refermer sur la seule sanction. Bien sûr, il peut y avoir une justice rendue sans aucune compassion et sans pardon, et c’est déjà justice. Mais pour des chrétiens tout particulièrement, la finalité de la justice n’est pas seulement la sanction, aussi nécessaire et légitime soit-elle. C’est encore moins la vengeance, bien sûr.
À contre-courant d’un certain esprit du monde, sans doute, nous devons cultiver l’espérance, qui nous conduit à souhaiter la repentance, la conversion et la vie, plus que la vengeance et la mort. Comme cela arrive souvent ce sont les victimes et leurs familles qui nous ont montré ce chemin, par leur attitude si digne – contrastant par exemple avec les réactions effarantes d’agressivité voire de mépris suscitées par les gestes de réconfort de Roseline Hamel après la conclusion du procès.
Elle répondait pourtant fidèlement à la prophétie d’Ezekiel que la liturgie nous faisait entendre deux jours après le verdict : « Prendrais-je donc plaisir à la mort du méchant, et non pas plutôt à ce qu’il se détourne de sa conduite et qu’il vive ? »
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