Orate fratres : prions (vraiment) ensemble

Dimanche dernier, j’ai sursauté lors de la prière sur les offrandes, en prenant conscience que je venais de répondre machinalement, bien haut et fort : « pour la gloire de Dieu et le salut du monde ». Mon Dieu, qu’est-ce qui m’a pris ? Ça fait plus d’un an qu’on est passé à la nouvelle traduction

Puis j’ai réalisé que toute l’assemblée avait fait de même – quelle est cette sorcellerie ? – avant de me rendre compte que c’était tout simplement le prêtre qui avait pris l’ancienne formule : « Prions ensemble, au moment d’offrir le sacrifice de toute l’Église. »

Ce choix n’était sans doute pas le fait du hasard. En raison de sacrements d’initiation célébrés ce jour-là, l’assemblée était plus nombreuse et comptait un bon nombre pratiquants occasionnels qui ne connaissent sans doute pas la nouvelle formule. Mais ce qui m’a frappé, c’est la clarté et la force de la réponse de l’assemblée. Ça venait du fond du cœur et surtout : d’une seule voix. Même avec des fidèles moins habitués. Par contraste, plus d’un an après son introduction, la nouvelle formule reste encore très hésitante, même avec la communauté habituelle.

La situation est sans doute très différente d’une paroisse à l’autre, et la mienne est pourtant très loin d’être un repaire de vieux gauchistes contestataires, mais la réalité est qu’après un an, la réponse de l’assemblée reste un marmonnement confus. Ce n’est même pas forcément que le texte ne soit pas su, d’ailleurs. C’est autre chose. Une impression que le cœur n’y est pas, que l’assemblée n’est pas unie dans sa réponse. Un petit sondage réalisé hier sur Twitter, à la valeur scientifique parfaitement nulle, me permet par ailleurs de conclure avec l’assurance d’un chroniqueur de chaîne d’info continue que cette impression laborieuse est loin d’être isolée.

Si l’on parlait plus haut de pratiquants occasionnels, je dois admettre que moi-même, qui suis plutôt un strict observant, j’ai toujours beaucoup de mal à sortir cette réponse. Pour tout dire, je n’ai pas l’impression de dire une prière qui vient du cœur, mais de devoir réciter ma leçon de catéchisme. Et ça me désole. Même le Credo ne me fait pas cet effet. Il y a dans cette formule quelque chose de scolaire et de désuet (comme un peu trop souvent dans cette nouvelle traduction).

Pour autant, je veille à ne pas enfermer mon avis dans le ressenti personnel (« j’aime / j’aime pas »), qui a certes son importance mais qui ne peut pas être le dernier mot en matière de liturgie. On pourrait aussi discuter de la vision théologique qu’exprime cette nouvelle traduction, qui nous fait passer du « salut du monde » au « bien de l’Église ». C’est loin d’être neutre.

Mais je voudrais plutôt m’attacher ici à comprendre pourquoi l’assemblée, qui n’a eu aucun problème à adopter le changement de formule du Notre Père, a tant de mal avec cette réponse. Lors du changement, j’avais souligné le manque d’anticipation et de préparation, mais plus d’un an après cela ne suffit plus à expliquer la confusion. Il y a facteur assez objectif qui peut contribuer (avec d’autres) à expliquer cette impression laborieuse : la longueur et le rythme du texte.

D’une part, la formule est plus longue que le petit changement du Notre Père, et donc nécessite un effort de volonté un peu plus important pour la mémoriser (et cette volonté n’est pas toujours là).

D’autre part, cette formule est plus longue que les réponses brèves (comme « nous rendons grâce à Dieu » ou « nous le tournons vers le Seigneur ») qui sont proclamées d’une traite. Mais elle est plus courte que les prières récitées par l’assemblée (Notre Père, Credo, Confiteor, Gloria…). Or ces textes, plus longs, ont un rythme propre qui fait partie intégrante de leur récitation.

Si vous avez déjà eu l’occasion de réciter un Notre Père avec des personnes que vous ne connaissiez pas encore, je suis à peu près sûr que, très naturellement, vous avez placé les pauses aux mêmes endroits, sans avoir eu besoin de vous concerter. Le texte du Notre Père, comme le Symbole des apôtres, le Credo, le Je vous salue Marie etc. ont un rythme propre, très clair, avec des séquences assez courtes, ce qui contribue beaucoup à la capacité d’une assemblée à le proclamer ensemble.

Maintenant, regardons la nouvelle formule : « Que le Seigneur reçoive de vos mains ce sacrifice à la louange et à la gloire de son nom, pour notre bien et celui de toute l’Église. » Êtes-vous capable de placer instantanément les pauses dans le texte, avec l’assurance que les autres le feront au même endroit ?

Rien que la première pause, où la fait-on ? La pratique majoritaire ici semble de la faire après « sacrifice ». Mais cela fait déjà une première unité de 14 syllabes, ce qui est beaucoup. Par comparaison, la première séquence de diction des autres prières est nettement plus courte (Notre Père : 3 ; Je vous salue Marie : 6 ; Je crois en Dieu : 4 ; Gloire à Dieu : 3 ; et pour la plus longue, Je confesse à Dieu tout-puissant : 8), ce qui pose mieux le rythme de la récitation commune.

Mais cela n’a rien d’une évidence, d’autant qu’il n’y a pas de ponctuation pour guider la pause, et que je n’ai jamais vu écrit le texte per cola et commata, avec des retours à la ligne pour dégager les unités de diction (contrairement au lectionnaire). De fait, j’entends bien que certains reprennent leur souffle dès « vos mains » (ce qui me semble plus judicieux, pour équilibrer la longueur des séquences) tandis que les plus endurants le retiennent carrément jusqu’à « son nom ». Tout cela crée une confusion sonore. Ce n’est pas pour rien que les chefs de chœur sont si stricts sur les respirations. Au lieu d’exprimer l’unité de l’assemblée dans sa réponse, cela laisse l’impression de récitations privées simultanées.

Face à cela, certaines paroisses ont opté pour le chant. C’est une solution qui permet sans doute d’aider à forger une récitation collective. Le chant pose non seulement une mélodie, mais aussi un rythme. Mais c’est un peu dommage que la récitation seule soit ainsi pénalisée, même si bien sûr, tout cela n’est pas dramatique : la foi et les mœurs n’en sont pas affectées.

Je ne sais pas dans quelle mesure cet aspect a été pris en compte dans la nouvelle traduction. J’ai un peu l’impression que la recherche d’une fidélité stricte au texte latin (objectif revendiqué de la nouvelle traduction1L’Instruction Liturgiam authenticam de 2001 demandait que « le texte original ou primitif soit, autant que possible, traduit intégralement et très précisément, c’est-à-dire sans omission ni ajout, par rapport au contenu ».) a été si forte que cela s’est fait au détriment de ce qui pouvait favoriser la capacité de l’assemblée à réciter le texte de façon harmonieuse.

Il ne reste plus qu’à espérer que progressivement, émerge au sein de nos communautés une pratique commune pour la diction de cette réponse, pour sortir de ce moment de gêne qui plane encore dans trop de paroisses. Même si cela ne règlera pas les autres réserves que peut inspirer cette réponse, sur le fond. Car le rythme ne fait pas tout et ne saurait être l’unique raison de la résistance manifeste à l’appropriation de cette formule.

1 Comment

  1. Merci pour cet article dans lequel je me retrouve complètement, et ma paroisse avec. Je trouve moi-même ce passage de la messe assez confus sans en comprendre l’origine. Et en vous lisant, j’ai réalisé qu’effectivement, je n’ai pas l’impression de dire une prière qui vient du cœur, mais de devoir réciter ma leçon de catéchisme ! Et pour ma part, je m’arrête à « vos mains » 😉

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