Des églises « vides » qui brûlent ?

L’incendie de la cathédrale de Nantes est une terrible nouvelle, un an après celui de Notre-Dame de Paris. Chaque lieu de culte qui est détruit ou dégradé est une blessure. Il faut nous garder de spéculer sur les auteurs potentiels de ce crime, à supposer que la piste criminelle soit confirmée, et, dans un État de droit, laisser le temps à la justice de passer. Surtout pour l’État, d’ailleurs, qui a voulu il y a plus d’un siècle s’approprier les lieux de culte et qui en assume maintenant la charge : ce sont des biens publics qui sont touchés. Cela explique donc que ces incendies et dégradations ne touchent pas seulement les fidèles chrétiens, mais plus largement.

Mais il y a une chose en particulier qui, définitivement, ne passe pas : c’est de voir des messages qui, pour certains, sont de véritables appels à la croisade, relayés par des personnes opportunément très désireuses de défendre le patrimoine et l’héritage chrétien, alors que je les connais assez pour savoir que non seulement elles ne mettent jamais les pieds dans une église, mais encore et surtout qu’elles se contrefichent, pour leur vie personnelle, de la foi au Christ et des exigences de l’Évangile.

Si l’héritage chrétien est si important pour elles, qu’elles commencent par le faire vivre au jour le jour, au lieu de le mépriser toute l’année. Et qu’elles veuillent bien entendre que « l’héritage chrétien », ce n’est pas d’abord des bâtiments ou des œuvres d’art, c’est avant tout l’Évangile. Dont on ne les entend jamais parler – sauf pour s’en moquer.

Ainsi Michel Onfray, auteur d’un « traité d’athéologie » où il déverse toute la haine et le mépris qu’il a de la foi chrétienne, qui vient pleurer parce qu’une église brûle. C’est le pompier pyromane. Ses propres livres font partie, et de façon bien plus perverse, de ces « gestes antichrétiens » qu’il fait mine de dénoncer.

Je ne me ferai jamais à cette façon de prendre le christianisme en otage de considérations qui sont tout sauf spirituelles. Et même bien pire : de le pervertir, de le trahir, au point de le retourner contre lui-même. Il n’est que trop clair que ces zélotes ont un mépris profond pour l’Évangile, qu’ils tiennent pour une apologie de la faiblesse. Nous sommes agressés, il faut réagir. Tendre la joue gauche ? Vous n’y pensez pas ! Nous revoilà face à l’antique serpent qui nous susurre qu’il vaudrait mieux ne pas trop suivre les recommandations du vieux barbon qui est aux cieux.

Bien sûr, il faut réagir. Comme il convient d’ailleurs, avant tout, que l’État réagisse à toute forme de violence ou toute dégradation du patrimoine commun, puisque c’est l’État qui est garant de l’ordre public. Mais nous ne pouvons pas réagir en devenant comme ceux que nous prétendons combattre. Sinon, nous avons déjà perdu. Mais je crois que c’est précisément ce que cherchent ces faux disciples qui ne font mine d’embrasser la cause chrétienne que pour mieux l’étouffer.

C’est ainsi que je vois relayé, beaucoup trop, un montage de photos d’églises en feu. Outre le fait que le texte qui l’accompagne cumule les contre-vérités, le point le plus problématique est le commentaire final : « Des églises vides qui brûlent, cela libère des terrains pour la construction de mosquées qui seront pleines, elles ». Message ô combien révélateur !

Si en effet les églises étaient vraiment toutes vides, et si les mosquées étaient vraiment toutes pleines, alors pourquoi contester qu’on remplace les églises par des mosquées ? Mais si cette assertion (dont je ne crois pas un mot) était vraie, alors le drame serait que les églises soient vides. Pas qu’elles brûlent. Et que font-ils, ces résistants de la dernière heure, pour que les églises soient pleines, quand eux-mêmes ne daignent pas y aller et professent même ouvertement leur souhait d’en finir avec l’Église ?

N’en déplaise aux tenants d’un catholicisme patrimonial et totalement sécularisé, les églises de pierre n’ont aucun sens si elles ne sont pas d’abord les lieux de rassemblement d’une communauté croyante.

En feignant de défendre les églises, ce message martèle en fait insidieusement l’idée qu’elles sont vides – et donc en réalité qu’elles sont inutiles, sinon à titre de musée. Il n’y a plus dès lors qu’un petit pas à faire pour arriver à l’idée que l’Église a failli et qu’il est donc grand temps de nous débarrasser de ce vieux truc encombrant.

Voilà pourquoi je crains bien que les catholiques sincères qui relaient ces différents messages – parce que, tout affolés qu’ils sont devant un monde dont ils se sentent de plus en plus exclus, ils croient avoir enfin trouvé quelqu’un qui les comprend et les soutient dans leur désarroi – soient les dindons de la farce. Prêts à faire entrer le loup dans la bergerie, parce qu’au moins, le loup, il sait se défendre, lui.

Le Christ n’a jamais promis à ceux qui le suivraient que cela leur vaudrait une vie paisible et les honneurs publics. Il a même annoncé l’inverse, demandant à ceux qui veulent le suivre de renoncer à tout et de porter leur croix. Les Béatitudes, la « grande charte du christianisme » et qui est certainement le véritable cœur de « l’héritage chrétien », bien plus que la plus belle des cathédrales, ne dit rien d’autre. Il nous prévient même du malheur qui nous attend si le monde commence à nous flatter.

« Heureux êtes-vous
quand les hommes vous haïssent et vous excluent,
quand ils insultent et rejettent votre nom comme méprisable,
à cause du Fils de l’homme.
Ce jour-là, réjouissez-vous, tressaillez de joie,
car alors votre récompense est grande dans le ciel ;
c’est ainsi, en effet, que leurs pères traitaient les prophètes.
[…]
Mais quel malheur pour vous
lorsque tous les hommes disent du bien de vous !
C’est ainsi, en effet, que leurs pères traitaient les faux prophètes. »

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