Ordinations : l’avis du « peuple chrétien »

Le déconfinement a augmenté encore la mobilité paroissiale qui caractérise souvent les vacances – même pour le paroissien fidèle que je suis, la capacité trop restreinte de notre église nous poussant un peu ailleurs. C’est ainsi que j’ai assisté dernièrement à une messe dominicale dans une cathédrale où des ordinations allaient être célébrées l’après-midi même. Le célébrant commença d’ailleurs son homélie par une allusion à cette ordination, et plus précisément au dialogue qui introduit la célébration.

À la question de l’évêque concernant les candidats au sacerdoce, « Êtes-vous sûr qu’ils en sont dignes? » le supérieur du séminaire répond ainsi : « D’après les informations recueillies auprès du peuple chrétien et selon le jugement rendu par ceux qui ont pris soin de leur formation, je peux attester qu’ils en sont dignes. »

Cette réflexion m’a frappé, au point que je dois confesser n’avoir plus trop suivi la suite du sermon, ni même pourquoi le prêtre avait choisi de parler de ce dialogue introductif. J’ai déjà eu l’occasion d’assister, quelques fois, à des ordinations – il y a de nombreuses années, il est vrai – et je n’avais jamais fait tellement attention à cette formule. C’est en particulier le début de la réponse du supérieur qui m’a frappé : « d’après les informations recueillies auprès du peuple chrétien. »

La question qui m’a saisi alors est la suivante : comment ces informations sont-elles recueillies « auprès du peuple chrétien » ? Quelles sont les personnes interrogées, par qui et selon quelle procédure, pour pouvoir ainsi en conclure à un avis favorable du « peuple chrétien » ? Je suis bien incapable de répondre à ces questions et n’ai jamais entendu parler d’une telle consultation. Le rituel invoque l’aval donné par le peuple chrétien, dont je fais partie, sans que je sache le moins du monde comment cet aval, donné en notre nom, est obtenu. Cela chiffonne un peu le démocrate qui est en moi.

On peut bien entendu comprendre que l’affaire nécessite une certaine discrétion. On n’imagine pas le supérieur du séminaire lancer un appel en chaire dans toutes les communautés où sont passés les séminaristes pour que chacun dise tout le bien ou le mal qu’il pense d’eux. On peut comprendre aussi que cela ne relève pas de la démocratie directe : après tout, nous vivons dans des institutions (politiques, sociales, judiciaires, scolaires et même ecclésiales) qui reposent sur le principe de représentation. Mais dans tous ces cas, les délégués qui parlent au nom de ceux qu’ils représentent sont connus, de même que leur mode de désignation. Rien de tel ici : juste un grand mystère, un de plus parmi tous ceux que l’Église aime entretenir. Pas toujours pour son plus grand bien.

L’idée ce recueil me semble pourtant essentielle. Elle induit l’idée, plus si évidente pour certains, que le « peuple chrétien » a son mot à dire sur un point très sensible du gouvernement de l’Église : le choix des prêtres. Il n’est bien sûr pas question d’une élection. Mais le rituel indique donc qu’on n’est pas non plus un modèle purement descendant, où tout tomberait « d’en haut », par le seul fait du prince évêque.

Ce rappel me semble indispensable, compte tenu de l’importance (à l’évidence excessive) des prêtres dans le fonctionnement et la vie d’une Église dont il est clair maintenant pour tous qu’elle est trop cléricale. Pour paraphraser Clémenceau (qui lui-même paraphrasait Voltaire), l’Église est une chose bien trop sérieuse pour être laissée exclusivement aux clercs…

Mais si le principe est posé et heureusement rappelé par le rituel, il reste à ce que ce soit effectivement appliqué. Aujourd’hui, la procédure n’est pas bien claire, ce qui laisse planer un doute : celui d’une forme de cooptation entre clercs.

Commencer par prendre au sérieux cette formule du rituel, lui donner une véritable consistance en formalisant et en rendant publiques les modalités du recueil de l’avis du « peuple chrétien » serait peut-être un petit pas, parmi tant d’autres nécessaires, pour retrouver un plus juste équilibre entre les ministres ordonnés et le peuple des baptisés.

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