Drôle de bénitier

Depuis que les célébrations ont repris, les catholiques se sont appliqués à respecter les règles sanitaires, soucieux qu’après avoir réclamé le droit de se réunir, on ne puisse les accuser de créer des foyers d’épidémie, comme cela a été fait, de manière très injuste, pour un rassemblement évangélique en Alsace.

Chaque paroisse a ainsi appliqué les consignes, en les adaptant au mieux à la configuration des lieux, et les fidèles s’y sont conformés. Parmi les aménagements, il y en a un qui a été adopté de manière quasi immédiate, c’est le distributeur de gel hydroalcoolique, sans doute parce qu’on le trouve à l’entrée de tous les lieux publics, mais de manière plus évidente encore dans une église parce qu’il reprend presque à l’identique un geste rituel profondément ancré : l’usage du bénitier.

J’ai vu dernièrement un couple partager le gel du bout des doigts, comme certains vieux fidèles avaient coutume de se partager l’eau bénite avant de se signer. Avec un sourire trahissant la conscience qu’ils avaient de contourner allègrement l’esprit du dispositif sanitaire et de faire un clin d’œil à ce geste rituel temporairement suspendu.

La similitude des formes est si frappante qu’elle m’interroge sur les écarts de signification. Que pourrait-il y avoir en effet de commun entre un protocole sanitaire destiné à éliminer bactéries et virus, et un geste rituel par lequel chaque baptisé se rappelle que son baptême l’a fait entrer dans un salut qui est d’un ordre tout autre que la lutte contre la pandémie ?

Le pape François a rappelé le sens de ce geste rituel au cours d’une audience : « Quand nous plongeons la main dans l’eau bénite — en entrant dans une église nous touchons l’eau bénite — et que nous faisons le signe de la Croix, pensons avec joie et gratitude au baptême que nous avons reçu — cette eau bénite nous rappelle le baptême — et renouvelons notre “Amen” — “Je suis heureux” —, pour vivre plongés dans l’amour de la Très Sainte Trinité. »

De fait, le bénitier, où stage une eau à la qualité parfois douteuse, n’a pas vocation à nous désinfecter et l’apparente facilité avec laquelle le geste sanitaire s’est – temporairement – substitué au geste rituel ne trahit aucune tentation de confondre deux registres bien distincts.

Pourtant, cette similitude continue à m’intriguer. Nos rituels ne cessent en effet d’inscrire dans le domaine physique, corporel, des réalités spirituelles. Lorsque le prêtre, au cours de la prière eucharistique, demande à Dieu de le laver de ses fautes et de le purifier de son péché, il se lave physiquement les doigts – sous un filet d’eau si mince que sa valeur symbolique ne peut échapper à personne.

Nous nous sommes habitués à une lecture très spirituelle et, en quelque sorte, descendante. La réalité est spirituelle, et le rituel la retranscrit dans un registre perceptible qui serait secondaire et dénué de signification par lui-même. Pourtant, les gestes choisis ne sont pas arbitrairement sortis de l’imagination d’un mystique. Lorsque Jésus lave les pieds de ses disciples, il n’invente rien. Ce qui était révolutionnaire, ce n’était pas de laver les pieds, c’était que Jésus se charge de cette tâche habituellement confiée aux serviteurs, voire aux esclaves. Mais le geste en lui-même répondait à un objectif sanitaire courant à une époque où l’on marchait en sandale sur des chemins poussiéreux. Nous en sommes loin aujourd’hui si bien que la signification primaire du geste finit par nous échapper.

Il n’est bien sûr pas question de remplacer nos vieux bénitiers par ces flacons de plastique, fort laids, il faut bien le dire, pas plus que le gel hydroalcoolique ne remplacera l’eau comme symbole de vie dans nos liturgies. Mais au moins m’ont-ils offert l’occasion de me rappeler que les gestes que la liturgie a choisi pour exprimer la façon dont la grâce nous rejoint étaient aussi, en leur temps, ceux du quotidien, que la signification spirituelle qu’on y a vue n’avait pas supprimé la signification matérielle du geste.

À lire également sur le sujet, un billet de Zabou the terrible : Ablutions hydro alcooliques

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