Lettre des évêques sur la lutte contre la pédophilie

Il est bien rare que les évêques adressent une lettre à l’ensemble des catholiques du pays. C’est dire l’importance de la « Lettre des évêques de France aux catholiques sur la lutte contre la pédophilie », signée le 25 mars dernier. Il faut savoir gré aux évêques de s’être enfin emparés résolument d’un sujet si longtemps contourné. On pourra trouver, à raison, que cela vient bien tard. Mais au moins cela vient, avec une détermination sincère, et cela mérite d’être salué. Sur ce sujet, il n’est pas trop tard pour bien faire.

Comme paroissien de base, il m’attriste un peu qu’il faille que ce soit sur ce sujet que les évêques adoptent cette communication si solennelle. J’aurais préféré qu’ils le fassent plutôt pour parler de la foi, de l’espérance et de la charité, dont notre monde a tant besoin. Mais nous devons hélas, avec eux, accepter que notre Église ait du linge sale à laver en famille.

La faiblesse des réactions

Signe de sa détermination, l’épiscopat n’a pas ménagé ses efforts pour diffuser cette lettre. Dans de nombreuses paroisses, des versions imprimées ont été distribuées. Ce volontarisme contraste cruellement avec la faiblesse des réactions. Que ce soit sur les réseaux sociaux ou sur les parvis, les catholiques n’ont réagi que faiblement à ce courrier. Est-ce le signe d’une gêne profonde, mêlée parfois de mauvaise conscience peut-être, qui fait que l’on a tant de mal à s’emparer du sujet ?

Dans ma paroisse, la lettre fut distribuée sur les présentoirs au fond de l’église, un dimanche. Le prêtre qui célébrait l’a signalé lors des annonces à la fin de la messe. De façon révélatrice, il s’est contenté de dire « qu’on trouverait une lettre des évêques à tous les catholiques », sans ajouter un seul mot pour préciser de quoi parlait cette lettre. Visiblement, il y a encore du mal à nommer le sujet.

Un propos clair et courageux

Les choses sont pourtant dites, dans cette lettre, avec beaucoup de franchise. Le constat est courageux, sur l’ampleur du problème comme sur l’insuffisance de sa prise en compte par le passé, ou encore sur le fait qu’il a touché particulièrement les communautés nouvelles qui prétendaient incarner le renouveau de l’Église. La parole est forte lorsqu’elle considère les crimes pédophiles, non seulement comme un abus du pouvoir reçu du Christ, mais encore comme des atteintes au commandement « tu ne tueras pas ». Il y a une certaine humilité aussi, dans la façon dont les évêques reconnaissent la lenteur à prendre conscience de la difficulté de parler pour les victimes, et l’importance de leur témoignage pour faire la vérité.

Les évêques affirment à juste titre que la lutte contre la pédophilie est un devoir pour l’ensemble de l’Église – avec un appel à la vigilance de tous les catholiques – et que ce travail doit se faire avec les victimes. Ils annoncent une série de décisions, portant sur la poursuite de leur travail, la sensibilisation en particulier dans la formation du clergé et des responsables, l’assistance financière aux victimes, le renforcement des procédures de justice canonique ou encore, plus symboliquement, la création d’un lieu de mémoire et l’instauration d’une journée de prière pour les victimes.

Cette lettre dit des choses essentielles, qui ont dû être difficiles à écrire, surtout dans un contexte collégial. La recherche d’unité conduit souvent à lisser les discours pour ne retenir que le plus petit dénominateur commun. Tous ces aspects positifs n’ont pas empêché, cependant, de ressentir une déception à la lecture de cette lettre.

Un calendrier étonnant

C’est tout d’abord le caractère très imprécis des actions envisagées qui m’a frustré. On en reste au stade des intentions bien plus que des mesures concrètes. Peut-être cette imprécision tient-elle au calendrier de cette lettre, adressée avant la remise du rapport de la CIASE, à qui les évêques ont confié la mission de leur faire des préconisations.

Mais alors, s’il était encore trop tôt pour préciser les actions, pourquoi avoir publié cette lettre dès maintenant ? Chacun reconnaît que l’Église a bien trop tardé à réagir, mais qu’elle prend enfin maintenant le sujet au sérieux, sans doute même plus que bien d’autres institutions également concernées. Alors pourquoi cet empressement soudain à communiquer sans attendre la conclusion de la CIASE, dont la qualité du travail est reconnue ? Lorsque les mesures seront précisées, faudra-t-il une nouvelle lettre des évêques ? Si oui, les évêques tiennent-ils tant à concentrer leur communication sur la pédophilie ? Sinon, faut-il comprendre que les fidèles devront se contenter de ces annonces intermédiaires ?

Ce calendrier étrange laisse l’impression que les évêques auraient voulu « reprendre la main » avant rapport de la CIASE, dans un réflexe assez politique de réaffirmation de leur autorité, qui semble bien mal placé à ce moment. Le silence étourdissant qui a accompagné la publication de cette lettre est d’ailleurs révélateur du discrédit qui touche même la parole épiscopale. C’est peut-être subjectif, mais il me semble que la parole de la vie religieuse, par l’intermédiaire de la CORREF, a presque plus d’audience.

Le sort des « lanceurs d’alerte »

La lettre évoque par ailleurs l’action « des personnes courageuses » qui ont dénoncé les abus et les crimes, parfois depuis très longtemps. Mais si elles ont dû faire preuve de courage, c’est précisément parce que, sans être directement les victimes, elles ont subi à leur tour des injustices profondes. Disons-le clairement : l’Église – certains qui y détiennent un peu d’autorité ou de pouvoir – leur a fait payer, parfois très cher. L’Église, les évêques, s’honoreraient à les réhabiliter et à dénoncer les propos honteux et les accusations portées à tort contre eux pour « défendre l’institution » … au mépris de la vérité et de la justice.

Les causes profondes de ces abus et crimes ?

Mais la principale raison de ma déception est plus profonde. Si cette lettre reconnaît bien que ces crimes procèdent toujours d’abus de pouvoir, elle élude la question pourtant induite : l’organisation et la conception même de ce pouvoir créent-elles les conditions de ces abus ?

C’est déjà bien de reconnaître qu’il y a eu d’énormes manquements dans l’exercice de la responsabilité. Mais cela ne suffit pas à expliquer comment ont pu, à ce point, s’accomplir au sein de l’Église des actes si radicalement contraire à tout ce qu’elle peut prétendre être. On ne peut plus se contenter aujourd’hui d’inviter à « attendre d’en savoir plus pour comprendre ». Depuis plusieurs années, les ouvrages ne manquent pas qui abordent très sérieusement la question, sous tous ses aspects.

Dans son analyse de la situation, la lettre des évêques en reste encore un peu trop au schéma suivant : certains ont abusé du pouvoir qu’ils avaient reçu ; leurs responsables n’ont pas été à la hauteur et nous avons collectivement mis du temps à reconnaitre le problème – et en cela nous sommes bien responsables. Mais ce sont des dérives au sein d’une organisation ecclésiale qui reste globalement bonne, et d’ailleurs l’écrasante majorité des prêtres et religieux sont admirables de dévouement.

À ce titre, il est gênant que cette lettre se conclue par un paragraphe sur les « prêtres, diacres, consacrés hommes et femmes qui se donnent chastement ». On comprend évidemment la volonté de ne pas les accabler. Il était même indispensable que les évêques rappellent dans cette lettre qu’en effet, l’immense majorité des religieux et des prêtres vit son engagement honnêtement. Mais choisir de conclure sur ce rappel nous laisse la terrible impression de vouloir clore le chapitre en rappelant qu’au fond, l’essentiel est sauf, et qu’hormis les brebis galeuses et quelques errements dans la gestion des affaires, il n’y a pas à remettre en cause plus que cela l’organisation même de l’Église.

Cette conclusion vient presque refermer l’ouverture faite un peu plus tôt, appelant à « réfléchir sur nos modes de fonctionnement en diocèses, en paroisses, dans nos communautés et mouvements » et à « nous interroger sur les possibilités de dérives ». Comme si l’on voulait nous rappeler les limites au-delà desquelles cette réflexion ne saurait s’aventurer. En appeler seulement à « des supervisions, des contrôles, des regards tiers, et la possibilité de la correction fraternelle », c’est en rester à un traitement symptomatique.

Organisation de l’Église et structure de péché

L’Église osera-t-elle s’appliquer à elle-même la réflexion de Jean-Paul II sur les structures de péchés ? Cela se fait en certains lieux, mais encore bien rares. Il est un peu trop facile de s’en tenir à l’opposition entre l’Église qui est sainte et les chrétiens qui sont pécheurs. Si l’Église est sainte – et je n’en doute pas – il y a bien un « système ecclésial », pour ne pas dire clérical, qui ne résume pas l’Église.

Notre responsabilité dans ces affaires peut-elle être seulement de ne pas avoir reconnu la réalité de problèmes, de ne pas avoir mis assez de contrôles, de ne pas avoir pris les mesures disciplinaires qui s’imposaient, voire d’avoir soustraits les coupables à la justice ? N’est-elle pas aussi, et même plus profondément encore, d’avoir alimenté – sans même en avoir toujours conscience – un système qui rendait possible ces abus ? Je dis bien « notre responsabilité » car ce n’est pas seulement celles des évêques, mais bien celle de tous les baptisés. Combien de laïcs, parfois même de parents, ont-ils contribué, plus ou moins consciemment, à étouffer des affaires ?

Il me semblait nécessaire de faire état de cette déception. Sinon, ce n’est pas la peine d’en appeler à la responsabilité et à l’engagement de tous les baptisés pour faire de l’Eglise « une maison sûre », si l’on récuse aussitôt la discussion et le débat. Le dévoilement de ces crimes nous a aussi montré, entre autres, les conséquences d’un déficit de dialogue dans l’Église.

Pour autant, je ne m’arrêterai pas à cette déception. Je veux prendre au sérieux l’engagement des évêques de « continuer à travailler ». J’espère, notamment avec la parole des victimes, en premier lieu, avec le travail de la CIASE et de la CORREF, mais aussi les ouvrages nombreux qui sont publiés ces temps-ci, que l’on continuera à progresser. Cette lettre constitue, à n’en pas douter, une étape importante dans une évolution bien longue – et plus encore, une vraie conversion. Et, tout en formulant ces réserves, nous pouvons remercier les évêques et les encourager dans ce travail encore en cours.

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