L’espérance, contre-effort de Carême

Photo Marina del Castell

Nous voici au début du Carême. Pendant cette période conversion, chaque chrétien est invité à renforcer en lui la foi, l’espérance et la charité. Cela se traduit souvent par des efforts concrets que chacun s’applique à faire pendant cette période. C’est un peu la variante spirituelle des bonnes résolutions en début d’année. Il y a parmi ces « efforts de Carême » de grands classiques, souvent proposés aux enfants et qui marquent parfois les esprits bien après l’enfance. C’est le cas notamment de certaines privations – de chocolat, bien sûr, ou d’alcool pour les plus grands. Ou, face aux tentations plus modernes, d’internet et de réseaux sociaux.

Mais le Carême intervient cette année dans un contexte qui, pour beaucoup, est déjà marqué par de nombreuses restrictions, voire de privations. Faut-il alors en ajouter davantage ? L’image du désert, où Jésus passa quarante jours, est souvent reprise pour illustrer cette période. Elle exprime bien le dépouillement et la solitude qui permettent de se recentrer sur l’essentiel. Mais combien d’entre nous souffrent-ils déjà d’isolement, depuis des mois ? Faut-il leur expliquer doctement que la solitude n’est pas l’isolement pour les inviter à se réjouir de leur état ?

L’an dernier, il s’est trouvé de beaux parleurs pour s’émerveiller de ce confinement qui nous offrait une merveilleuse occasion de nous recentrer sur l’essentiel. Foutaises insupportables pour ceux qui se retrouvaient enfermés toute la journée entre les quatre murs de leur appartement, à devoir tout à la fois s’adapter à des manières radicalement nouvelles de travailler et s’occuper de leurs enfants du matin au soir.

Tous les ans, les prédicateurs rappellent que ces efforts ne sont pas une fin en soi et que le Carême n’est pas un concours de mortification. Nous les écoutons poliment, nous savons qu’ils ont raison, mais bien souvent, nous continuons quand même à faire exactement pareil. Parce qu’au moins, ces efforts ont le mérite d’être concrets. Et visibles, ce qui ne gâche rien. On se retrouve ainsi à échanger nos idées d’efforts de Carême sur les réseaux sociaux, comme d’autres échangent des idées de cuisine ou des conseils de décoration.

L’invitation centrale du Carême est proclamée par le prophète Joël : « revenez à moi de tout votre cœur ». Le modèle évangélique de ce retour, par excellence, c’est le fils prodigue. Or, quel « effort » a-t-il fait ? Il a claqué tout son héritage pour flamber et la motivation véritable de son retour chez papa n’est pas d’une grande noblesse. Pour couronner le tout, il n’est même pas question de pénitence dans cet évangile.

On serait tenté de dire que la seule chose qui était demandé au fils prodigue, c’était d’accepter de se reconnaître comme fils, et de se laisser aimer par le père, mais ce n’est même pas aussi simple, car justement, il se présente en déclarant à l’inverse : « Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils. Traite-moi comme l’un de tes ouvriers. » On a connu façon plus affectueuse de se revenir à son père « de tout son coeur »

Comprendre comment répondre à cette invitation va sans doute m’occuper tout ce Carême, et bien plus encore. Mais il me semble certain que, cette année encore moins que toutes les autres, il ne s’agira pas d’aller chercher les efforts, d’aller au-devant de l’épreuve, dans une période où celles-ci se présentent bien assez d’elles-mêmes. Je vois en revanche un point précis qui mérite une attention particulière : veiller à l’espérance – y compris pour l’Église elle-même.

Depuis des mois, sinon des années, une certaine morosité s’est installée. J’ai parfois l’impression, quand il est question de l’Église, qu’on ne parle plus que des scandales et des abus en tout genre. Je comprends maintenant quelque chose qui me paraissait autrefois impensable : que l’Église, avec de tels contre-témoignages, puisse faire fuir et éloigner du Christ, comme ces disciples agglutinés autour de Jésus qui empêchent l’accès du paralysé. Même pour le paroissien fidèle, il y a un vrai risque à ne plus voir que ça – surtout quand même la vie paroissiale n’a plus rien de très fraternel ni d’enthousiasmant. Je vois bien poindre la tentation de la tristesse. Je sais bien que nos chemins peuvent passer par « nuit de la foi » et cela ne me fait pas peur. Ce qui est plus grave en revanche, c’est le risque d’acédie qui s’insinue au fil du temps.

Il est difficile de trouver le juste équilibre : ne pas cesser de voir la réalité, y compris le mal qu’il faut continuer à combattre, en commençant dans notre cœur, mais ne pas s’enfermer pour autant dans une posture de râleur cynique ou accablé. L’espérance nous permet de trouver le chemin entre ces deux écueils. Or, c’était peut-être la vertu que je pensais le moins à cultiver lors du Carême. Il était plus immédiat de penser à faire grandir la foi (par la prière) ou la charité (par le partage). Cette année, me voici sans doute incité à faire grandir aussi l’espérance. Ce qui ne se fera peut-être pas par des « efforts » de privation ou de pénitence, mais en commençant par accepter de me laisser inviter dans la joie du Père. Revenir à Dieu de tout mon cœur…

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