Après l’homélie des Cendres

Je sais bien que la période est particulièrement difficile pour les prêtres. À vrai dire, elle l’est pour tous les catholiques, tant la succession de révélations sur les déviances, les abus et les crimes perpétrés par certaines figures parmi les plus respectées de l’Église n’affecte pas que le clergé. Néanmoins, cette situation ne doit pas nous conduire à renoncer à dire ce que nous avons à dire, y compris sur certains sujets bien moins graves. Il serait même paradoxal qu’au moment où l’on prend conscience, à juste titre, des effets désastreux du cléricalisme qui a durablement imprégné l’Église catholique, ces affaires nous conduisent à le cultiver plus encore. Ce n’est pas manquer à la charité envers eux que de faire part à nos pasteurs de nos observations. C’est même, aujourd’hui plus que jamais, notre devoir. Après tout, ce même clergé n’a jamais cessé de nous rappeler, à juste titre, que la charité n’était pas la complaisance et qu’elle n’excluait pas la vérité.

Cette longue précaution oratoire étant faite, j’en viens donc à mon sujet, inspiré par l’homélie faite ce mercredi, dans la paroisse proche de mon lieu de travail où j’assistais à la messe des Cendres. Rien de vraiment grave, vous allez le voir, mais cela se produit un peu trop souvent et si j’ai rouvert ce blog, c’est pour exprimer au fil du temps ce que m’inspire ma vie paroissiale ordinaire. Et je suis certain que vous avez déjà vécu la même chose un jour ou l’autre.

Après avoir entendu les lectures du jours vient le temps de l’homélie, dont l’objectif est « d’expliquer un aspect des lectures scripturaires, ou bien d’un autre texte de l’ordinaire ou du propre de la messe du jour, en tenant compte soit du mystère que l’on célèbre, soit des besoins particuliers des auditeurs » (PGMR 65).

Or, après avoir écouté les lectures magnifiques, riches et exigeantes, de l’office des Cendres, voilà que le prêtre se met à nous raconter une histoire de son cru et la commenter longuement. L’histoire est certes très sympathique, pleine de bon sens et d’enseignements utiles. Sauf que ce n’était pas les textes qu’on venait d’entendre. Expédié, Joël et son appel à « déchirer son cœur et non pas ses vêtements ». À la trappe, le vibrant psaume 50 qui a inspiré tant de compositeurs. Aux oubliettes, l’invitation de saint Paul à nous laisser « réconcilier avec Dieu ». Passée sous silence, la vigoureuse mise en garde de Jésus contre la vanité de certaines pénitences…

Pour le dire très simplement, cette façon de faire me désole et ce n’est pas une réaction épidermique. On ne peut pas répéter que c’est la parole de Dieu, reçue et transmise dans l’Écriture Sainte, qui nous fait vivre et, au moment précis qui est destiné à en révéler toute la fécondité pour nous aujourd’hui, l’escamoter au profit de contes et légendes profanes.

Dire cela n’est en rien nier la valeur propre de ces textes profanes, ni même affirmer que ces textes n’auraient rien à nous inspirer pour notre vie spirituelle. Bien au contraire. Je suis conscient par ailleurs que bien des textes bibliques peuvent paraître obscurs, sinon carrément rebutants, et être bien moins accessibles que des textes récents, plus conformes à notre sensibilité contemporaine. Raison de plus pour prendre le temps de se pencher sur ces textes anciens et exigeants et de les commenter, pour qu’ils ne nous bousculent pas en vain mais nous fassent grandir dans la foi. Benoît XVI « demande en particulier aux ministres de faire en sorte que l’homélie mette la Parole de Dieu proclamée en étroite relation avec la célébration sacramentelle et avec la vie de la communauté ».

Revenir à la Bible, écouter ce qu’elle nous dit, est d’autant plus important à la lumière des événements récents. Je pense par exemple au travail de certains exégètes qui nous aident à comprendre combien la Bible peut éclairer nos débats actuels sur les rapports entre les hommes et les femmes.

J’entends bien l’objection qui pourra m’être opposée : cela n’est qu’un détail, qui paraît même un peu dérisoire au regard des défis présents de l’Église et du monde. Mais commençons par les choses simples. Chers prêtres, quand nous venons à la messe, nous savons à peu près où nous mettons les pieds et c’est, entre autres, pour entendre la parole de Dieu. Ne pensez pas que cela nous fasse fuir : sinon nous ne serions déjà plus là. C’est même parfois l’inverse qui pourrait nous faire fuir – car pour trouver des belles histoires profanes, nous avons tout ce qu’il faut par ailleurs.

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*