Je suis né sous Paul VI, mais je n’étais pas bien vieux lors de son décès. Je ne garde qu’un souvenir vague d’une photo de lui à la maison, et de la stupéfaction lors du décès de Jean-Paul Ier, à peine élu. Je me demande d’ailleurs dans quelle mesure ces souvenirs ne sont pas en partie reconstitués.
Quoi qu’il en soit, je suis de la « génération Jean-Paul II », avec toutes les limites de ce genre de formule. C’est donc en 2005 que j’ai vraiment vécu, pour la première fois, la fin d’un pontificat. On avait eu le temps de s’y préparer et pourtant cela semblait impossible : nous n’avions jamais connu que lui. J’étais partagé entre l’attachement à cette figure paternelle qui incarnait l’Église, une forme d’admiration à le voir assumer la maladie dans un monde qui ne rêve que de performance, et une gêne persistante devant une situation qui avait, par moment, un peu trop de ressemblance avec la fin de vie des dirigeants de l’ex URSS, qu’on exhibait sans trop savoir dans quelle mesure ils étaient encore réellement en pleine possession de leurs moyens. Mais à l’époque, je n’imaginais même pas qu’on puisse faire autrement que d’attendre, patiemment, le terme de sa vie, en priant pour lui. C’était avant Benoît XVI.
2013, autre fin de pontificat, radicalement différente. J’avais été, comme tout le monde sans doute, pris de cours, stupéfait, par la renonciation de Benoît XVI et même un peu admiratif de son audace. Je n’étais pas un « groupie » de Benoît XVI, comme certains qui ne semblent toujours pas avoir accepté son départ, mais je n’étais pas non plus, loin de là, hostile à ce pape dont je savais qu’il était loin de la caricature qu’on pouvait faire de lui.
Et voilà que démarre 2020 avec des rumeurs d’une possible renonciation de François dans l’année qui vient. Je ne sais pas quoi penser de ces analyses. Pour être franc, j’ai du mal à y croire. J’ai tendance à m’en méfier, mais après tout : tout est possible. François peut nous surprendre, dans un sens comme dans l’autre, et la décision n’appartient qu’à lui.
Cependant, je dois avouer une certaine inquiétude à l’idée d’un départ possible de François. Tout d’abord, parce que je prends conscience à quel point que je me suis attaché à cet homme. Pour pour sa contribution au Magistère, pour sa façon de gouverner l’Église et plus encore pour son attitude pastorale.
J’avais été impressionné par Jean-Paul II. J’avais eu de l’estime pour Benoît XVI. Je ressens une affection profonde pour François. Pour Jean-Paul II, je n’étais pas loin de souhaiter que cela en finisse rapidement, comme je l’avais vécu quelques années plus tôt pour une grand-mère souffrant d’Alzheimer. La mort comme une délivrance. Pour Benoît XVI, il n’y avait même pas eu le temps de se poser la question : le renoncement nous avait pris de court.
Pour François, pour la première fois, la question se pose. On sait qu’il peut renoncer, s’il veut, quand il veut. Lui-même l’a laissé entendre. Et, soyons honnête : je n’en ai pas envie. Il reste tant à faire pour nettoyer les écuries d’Augias ! Lui seul a été capable, de non pas d’y parvenir seul, mais au moins de l’engager, là où Benoît XVI avait capitulé. J’en veux beaucoup à tous les aficionados de Benoît XVI qui se réclament de lui en ignorant l’acte le plus déterminant, le plus exceptionnel de son pontificat : sa renonciation. S’il a renoncé, c’est qu’il estimait, en son âme et son conscience, qu’il n’était plus capable d’assurer sa mission.
J’espère secrètement que le pape François puisse aller plus loin, parce que je ne suis pas sûr que son successeur aura la même détermination. Je suis assez inquiet par les manœuvres en cours au Vatican pour contrer les réformes. Je sais bien que l’Esprit agit, dans l’Église comme au sein du Conclave qui élira le successeur, au moment voulu. Peut-être est-ce un manque de foi de ma part. Mais l’action de l’Esprit n’enlève rien aux responsabilités humaines, et l’on ne peut ignorer les manoeuvres, si bien mises au jour, par exemple, dans le dernier livre de Nicolas Senèze. Je reste certain que l’action de l’Esprit n’est pas indépendante de celle des hommes. Pour la suite, on parle beaucoup du Cardinal Tagle, présenté par les mêmes qui annoncent le départ de François comme son successeur désigné. Mais on connaît la formule : qui entre pape au conclave en ressort cardinal…
Nous verrons bien. Rendez-vous dans un an. En attendant, je reprends à mon compte la deuxième intention de la grande prière universelle du Vendredi Saint :
« Prions pour notre saint Père le pape, François, élevé par Dieu notre Seigneur à l’ordre épiscopal : qu’il le garde sain et sauf à son Église pour gouverner le peuple de Dieu. »
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