« Ta foi t’a sauvé »

Fresque du monastère de Dečani. XIVème siècle.

Le propos de l’évangile de ce jour est clair : il nous invite à rendre grâce à Dieu en toute circonstance, comme le résume la petite phrase lue pendant l’acclamation de l’évangile. Pourtant, le récit contient quelques surprises – et une fois encore, j’ai eu l’impression de redécouvrir ce texte.

Le début est en effet assez étrange. Les dix lépreux s’adressent à Jésus en lui demandant d’avoir pitié. Jusque-là, c’est une scène assez classique : on sait que le Christ attirait les malades. Mais, première surprise : Jésus les renvoie tout de suite vers les prêtres, sans autre commentaire. En d’autres endroits, Jésus guérit directement les malades. Pourquoi cette fois-ci ne le fait-il pas, et surtout pourquoi les renvoie-t-il vers les prêtres ?

On ne le sait pas trop, mais les lépreux n’auront de toute façon même pas besoin d’aller jusqu’aux prêtres puisque, seconde surprise : ils guérissent en chemin. La guérison intervient donc dans un entre-deux. Sur le plan formel, les lépreux n’ont été guéris ni par les prêtres… ni par Jésus – du moins, pas directement, comme il a pu le faire par ailleurs.

Pourtant, en fin de compte, l’acte de foi des lépreux s’avère comblé : ils étaient venus auprès du Christ et sont guéris. C’est d’ailleurs ce que semble dire Jésus au seul qui revient vers lui après sa guérison : « ta foi t’a sauvé ».

Mais le salut est passé par un détour et ce passage de l’évangile m’a rappelé l’importance des bifurcations dans la Bible, que soulignait le fr. Philippe Lefebvre dans un récent ouvrage. Ici comme en tant d’autres moments, le salut passe par un changement de chemin – qui est la figure matérielle de la conversion. Ce qui est marquant, c’est que dans le cas du Samaritain, il y a eu deux bifurcations : la première, comme les neuf autres, pour répondre à l’injonction du Christ d’aller voir les prêtres ; et la seconde, qu’il est seul à faire (et cette fois, de sa propre initiative), pour revenir au Christ.

Le récit du jour s’achève sur cette formule bien connue, que Jésus répète à plusieurs reprises : « ta foi t’a sauvé ». Je l’ai entendue si souvent que je n’y faisais plus vraiment attention, mais cette phrase est pourtant étonnante. Jésus dit toujours « ta foi t’a sauvé » et, à ma connaissance, il ne dit jamais « je t’ai sauvé », alors même que nous proclamons que Jésus est le sauveur.

Cette formule reprend exactement, dans la parole, le décalage présenté dans les mouvements au début du récit : une sorte de mise à distance entre la personne de Jésus et la guérison des lépreux. Jésus ne se présente pas comme un magicien qui pourrait, de l’extérieur, nous imposer la guérison ou le salut. Il souligne au contraire la nécessité absolue du mouvement intérieur qui répond à son invitation – cette foi, qui est la source du salut. L’évangile nous dit souvent Jésus regardait les personnes « et les aimait ». Il allait chercher au fond de la personne ce qui est en elle et qui la sauve.

Tout cela ne conduit pas, pour autant, à proclamer une sorte de salut autonome où la personne se sauve par elle-même. Jésus ne dit pas non plus : « tu t’es sauvé », mais bien « ta foi t’a sauvé ». La foi, c’est-à-dire la réponse libre et confiante à l’appel de Dieu – qui nous conduit par bien des détours.

Et le dernier de ces détours, c’est de revenir vers le Christ, retour qui apparaît ici comme un élément central du salut – en quelque sorte comme le signe d’une foi complète, qui ne se contente pas de la supplication mais intègre aussi l’action de grâce. Car en effet, si les dix lépreux sont tous guéris, seul le Samaritain qui revient vers Jésus s’entend dire que sa foi l’a sauvé. Compte tenu des circonstances dans lesquelles Jésus prononce cette phrase, il fait peu de doute que Jésus adresse cette parole spécifiquement au Samaritain, et non aux neuf autres. Ce qui induit une distinction entre la guérison et le salut. Le salut annoncé par Jésus n’est pas fondamentalement la guérison, celle-ci pouvant en être le signe. Mais – du moins ici – Jésus ne précise pas en quoi consiste exactement ce salut…

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