Figuier maudit

Tiens, c’est l’évangile du jour où Jésus s’est levé du pied gauche… Pas tant pour sa colère face aux marchands du temple, que pour la malédiction qu’il porte contre un pauvre figuier dont le seul tort est de ne pas porter de fruit hors saison.

Rappelons les trois actes de cette histoire. Quittant Béthanie, Jésus a faim. Il s’approche d’un figuier mais, pas de chance : ce n’est pas la saison, rien à manger. Alors Jésus blâme le pauvre arbre : « Que jamais plus personne ne mange de tes fruits ! ». Puis il arrive au Temple à Jérusalem et il se fâche à nouveau, cette fois contre les marchands et les clients de tout le commerce qui se développe autour du culte. Enfin, Jésus repasse devant le figuier, tout desséché, et exhorte alors ses disciples à avoir foi en Dieu et à ne pas douter que tout ce qu’ils demandent dans la prière leur sera accordé, avant de conclure par une invitation au pardon : « Et quand vous vous tenez en prière, si vous avez quelque chose contre quelqu’un, pardonnez, afin que votre Père qui est aux cieux vous pardonne aussi vos fautes. »

On évoque souvent ce passage de l’Évangile en parlant du « figuier stérile ».  Sauf que rien, dans le texte, ne dit que l’arbre soit stérile. Au contraire, le texte prend soin de préciser la raison pour laquelle il ne porte pas de fruit, qui est beaucoup plus banale : « ce n’était pas la saison des figues ».

Dans l’Évangile, Jésus donne souvent la nature en exemple et nous invite à nous en inspirer. Ici, Jésus ne semble pas en accepter le rythme naturel. C’est d’autant plus frappant qu’il existe une autre parabole avec un figuier (Lc 21, 29-31), où Jésus dit tout autre chose : « Voyez le figuier et tous les autres arbres. Regardez-les : dès qu’ils bourgeonnent, vous savez que l’été est tout proche. De même, vous aussi, lorsque vous verrez arriver cela, sachez que le royaume de Dieu est proche. »

Chez Luc, Jésus se montre très attentif à la saisonnalité du figuier. Mais visiblement, quand il a faim, il y accorde beaucoup moins d’importance… En fin de compte, en maudissant le figuier, Jésus paraît céder au caprice – voire à une forme de représailles un peu mesquine.

Le récit évangélique est soigneusement composé. Si l’épisode du figuier encadre l’épisode de la purification du temple, il faut sans doute lire ensemble ces deux histoires. D’autant que le récit a sans doute été écrit dans le contexte de la destruction du Temple, en 70. Certains interprètent alors ce figuier, desséché car il n’a su produire du fruit quand Jésus est venu à lui, comme une image du Temple, détruit car il n’a pas su reconnaître quand le Messie est venu à lui.

Cette interprétation raconte une histoire qui a certes sa cohérence… mais, comme la plupart des interprétations de « préfiguration », elle tord un peu trop le texte pour lui faire dire ce qu’on voudrait, plus que ce qu’il dit vraiment. En l’occurence, la comparaison butte un peu sur la notion de temps. L’intense activité prophétique qui a précédé l’arrivée du Christ montrait que « les temps étaient accomplis » pour que le Messie vienne. En revanche, pour le figuier, l’image ne fonctionne pas : les temps n’étaient pas venus pour qu’il porte du fruit.

On pourrait même être plus taquin et prendre Jésus au mot. Il explique en effet à ses disciples qu’il faut avoir foi en Dieu et que s’ils ne doutent pas dans leur cœur mais qu’ils croient que ce qu’ils demandent arrivera, cela leur sera accordé. Alors pourquoi donc, lorsque Jésus a souhaité trouver des figues dans l’arbre, cela ne lui a pas été accordé ?

Je n’ai pas de réponse à ces interrogations. Et, pour dire, je ne souhaite pas forcément en avoir une à tout prix. Ces étrangetés dans le récit évangélique ne remettant nullement en cause ma foi, je préfère largement rester sur une question non résolue que d’avaler de mauvaises explications qui ne tiennent pas la route. Un jour viendra, j’en suis sûr, où tout s’éclairera…

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*