Cela fait très longtemps que je pensais à ouvrir ce blog. Ou plutôt le rouvrir, car il avait déjà connu un premier départ, furtif, fin 2007, avant que le rythme de nouveaux engagements ne me contraigne bien vite à reposer le crayon en attendant des jours plus favorables, du moins en ce qui concerne ma disponibilité. Car favorable, tel n’est pas l’adjectif qui vient en premier à l’esprit du paroissien ordinaire pour évoquer le temps présent. Je ne parle pas seulement ici de ma propre paroisse (que j’aurai, sans nul doute, l’occasion d’évoquer dans de futurs billets) que de notre Église, qui a connu des jours meilleurs. Pourtant, peut-être ce trouble profond est-il justement une raison suffisante pour reprendre ce journal.
Pendant ces années, comme à l’époque de mon premier essai, j’imaginais bien que mes réflexions inspirées de l’actualité seraient sans doute parfois taquines, mais je les envisageais toujours empreintes d’un sentiment d’une familiarité sereine et, somme toute, assez joyeuse, avec l’Église. J’en connaissais bien sûr les limites. Il me suffisait d’observer ma propre vie pour me rappeler que l’Église est une communauté de pécheurs. Je savais bien que l’Église avait pu, par son attitude, devenir elle-même obstacle à sa propre mission de faire, de toutes les nations, des disciples.
Mais cela n’avait pas été le cas pour moi. Mon expérience de l’Église a toujours été profondément positive : lieu de formation spirituelle et d’éveil à l’intériorité ; lieu de formation humaine aussi, avec l’apprentissage de la responsabilité dans mes premiers engagements étudiants en aumônerie ; lieu de formation intellectuelle, avec des sessions annuelles inspirées par la doctrine sociale qui ont été déterminantes dans bien des choix professionnels ou militants ; lieu de formation artistique, également, puisque que c’est là que j’ai appris à chanter ; lieu de fraternité, bien sûr, où se sont nouées des amitiés solides qui durent encore près de trente après. Et je dois même à l’Église le trésor ultime, puisque j’y ai rencontré celle qui à qui j’ai donné ma vie. Comment, quand on a tant reçu, ne pas ressentir une profonde gratitude, ne pas cultiver une bienveillance foncière ?
Et voilà que malgré tant de bienfaits (tant de grâces reçues, dirait-on dans un vocabulaire plus traditionnel), cet attachement pourtant solide se trouve sérieusement affecté par la situation de l’Église. Sans doute y suis-je d’autant plus sensible que ces affaires qui secouent l’Église trouvent un écho, assez triste, dans la situation de ma propre paroisse, où le curé, âgé et malade, n’est plus en mesure d’assurer sa charge, avec tous les problèmes que cela pose.
À dire vrai, cela ne remet pas en cause ma foi. Mais si la foi n’est pas en cause, il serait malhonnête de ne pas reconnaître que ça finit par toucher un peu le moral. En ce temps de l’Avent qui débute aujourd’hui, les Anges dans nos campagnes chantent le blues en attendant des jours meilleurs.
L’amertume est vive surtout à la mesure de ce sentiment tenace que ce qui arrive était parfaitement prévisible, mais qu’on n’a pas voulu – et que, pour beaucoup, on ne veut toujours pas – l’entendre, pensant parfois qu’il suffit d’accuser les « ennemis » et qu’un surcroît de raideur morale (confondue à tort avec la ferveur évangélique) suffirait à résoudre le problème. Une telle posture ne rendra que plus dure encore la suite. Car imaginer que le pire est passé et qu’on aborde les beaux jours bientôt revenus après l’orage n’est pas de l’espérance, mais de l’aveuglement.
Voilà donc que, de manière assez inusuelle, cette année liturgique commence plutôt comme un Carême, dans une traversée du désert. Quel contraste entre la pesanteur actuelle, et la fraîcheur traditionnellement attachée au temps de Noël ! Les mots d’émerveillement, de simplicité, de joie, semblent presque dérisoires. Mais je sais bien que c’est dans ces moments qu’il importe de lutter, en son for intérieur, contre l’accablement.
Le pape François signe justement ce jour une lettre apostolique sur la crèche, Admirabile Signum. On pourrait s’étonner, face aux défis du monde et au mal qu’affronte l’Église en son propre sein, de consacrer un texte à la crèche, cette vieille tradition un peu noyée dans le folklore au point que sa signification semble parfois confuse (quand elle n’est pas carrément récupérée pour des motifs politiques très éloignés du mystère de l’Incarnation).
Mais le pape François, cet homme au sourire si réconfortant, s’attache à ne pas nous laisser réduire la joie à un sentiment secondaire, sinon même coupable en ces temps troublés, mais au contraire comme le signe que nous sommes en train de nous laisser toucher par l’amour de Dieu. Il nous rappelle surtout que la crèche est « un appel à suivre (le Christ) sur le chemin de l’humilité, de la pauvreté, du dépouillement, qui, de la mangeoire de Bethléem conduit à la croix. C’est un appel à le rencontrer et à le servir avec miséricorde dans les frères et sœurs les plus nécessiteux ».
Ce n’est donc pas une simple mascarade éphémère à laquelle nous invite le pape, mais bien à un chemin tout à la fois « doux et exigeant », qui nous engage à l’action mais au terme duquel c’est bien le Christ, et lui seul, qui pourra nous sauver – et sauver son Église.
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