Un temps pour la justice et la vérité

Abbaye de Sylvanès. Photo CC-BY-SA Espirat.

Les révélations d’agressions sexuelles dans l’Église n’en finissent pas. La semaine dernière, un religieux dominicain, célèbre pour ses compositions liturgiques, était mis en cause pour des faits de viol sur mineur. Un témoignage a été relayé par le quotidien La Croix, sous couvert d’anonymat, mais la victime présumée a été entendue par les autorités et son témoignage a manifestement été jugé assez crédible pour y donner suite. Conjointement, le prieur de la province de Toulouse des frères prêcheurs et le magistrat qui préside la commission indépendante de reconnaissance et de réparation des abus sexuels ont publié un communiqué pour chercher d’autres victimes potentielles, sans citer de nom, mais en précisant les lieux d’apostolat concernés.

C’était sans doute l’attitude la plus juste pour la Province de Toulouse. Il est bien que les autorités religieuses agissent ainsi rapidement après avoir reçu un signalement, et cherchent d’abord à établir les faits et rechercher des victimes, en collaboration avec la justice civile, plutôt que vouloir tout traiter dans le secret et, comme elles l’ont trop longtemps fait, chercher à étouffer les faits.

C’est d’autant plus important que dans le cas présent, le religieux mis en cause est en vie et que les faits ne sont pas prescrits. Même si l’accusé souffre de la maladie d’Alzheimer et n’a plus sa tête, un procès pourrait donc avoir lieu. C’est une bonne chose. Il faut avoir l’espérance que la vérité soit établie et que justice soit rendue. Quelles qu’elles soient.

Malgré tout, cette information porte un coup à ceux qui étaient attachés à la personnalité de ce religieux dominicain et à son œuvre. Il a compté pour beaucoup – et je peux m’inclure dans ce nombre. Il incarnait une sensibilité assez spécifique, qui se retrouvait difficilement ailleurs dans l’Église, au point de rencontre entre tradition et modernité. Quelle que soit la suite, c’est l’occasion de rappeler la mise en garde que formulait C. De Meester dans son ouvrage posthume : ce n’est pas tel ou tel fondateur que l’on doit suivre, mais le Christ.

En attendant qu’un procès ait lieu et que les conclusions en soient connues, le mieux est sans doute de rester mesuré sur le sujet. À ce stade, on peut vite se trouver pris en étau entre deux injonctions contradictoires. D’un côté, il faut prendre au sérieux la parole des plaignants, ce que longtemps l’Église n’a pas fait. De l’autre, il convient aussi de respecter le principe, essentiel dans un état de droit, de la présomption d’innocence. Nous ne devons renoncer ni à l’un, ni à l’autre. De fait, ils ne s’excluent pas mutuellement, même s’ils tirent en sens contraires. Mais rien n’interdit que les précautions indispensables à prendre à la suite de tels signalements, le soient dans le respect du droit.

« Libérer la parole » et surtout écouter vraiment les victimes : c’est un changement considérable et un immense progrès – pour l’Église, mais aussi pour toute la société. Pour ne pas passer d’un extrême à l’autre, il faut apprendre à la faire sans nous comporter à notre tour en procureurs sur les réseaux sociaux, a fortiori quand on a fait le choix d’y écrire sous pseudonyme. Nous sommes dans un état de droit, il y a une justice, il y a des gens dont c’est la mission d’enquêter et de juger. C’est à eux de le faire – et à nous d’être prudent, d’en tirer les conséquences, en acceptant ce temps de la justice.

Au titre de la prudence, se pose la question de l’œuvre de ce frère. Peut-on encore chanter ses chants ? La question se pose en premier lieu pour sa propre province de Toulouse et pour l’ordre des Prêcheurs. Une part essentielle de leur liturgie reposait sur ses compositions. La réponse qu’ils donneront sera sans doute une indication pour les autres.

Pour les paroisses, et plus encore pour les célébrations particulières (mariage, baptême…), il semble assez évident qu’il vaut mieux s’abstenir, quand bien même (c’est mon cas) on aimait particulièrement la Liturgie chorale du Peuple de Dieu. Il y a bien assez d’autres chants disponibles dans les différents répertoires. D’ores et déjà, le responsable de la chorale du pèlerinage du Rosaire a annoncé sur Twitter que leur programme serait modifié pour écarter les chants du frère mis en cause.

Cette « mise en quarantaine » est sans doute une mesure conservatoire raisonnable. Même si la justice n’a pas encore été rendue, il serait malvenu de se crisper pour défendre l’œuvre de ce frère dominicain. Soit l’issue du procès l’innocentera, et on pourra la chanter à nouveau. Soit il sera confondu, et ses chants seront délaissés pour très longtemps, peut-être toujours – même s’il m’en coûte d’écrire cela. Mais dans ce cas, cette déception personnelle n’est rien à côté de ce qu’ont subi la ou les victimes.

Seul le temps, un temps très long, pourrait peut-être séparer l’homme de l’œuvre. Quand l’auteur sera retombé dans l’oubli, quand les victimes n’en subiront plus l’injure, quand ces œuvres seront devenues en quelque sorte anonymes, en tout cas détachées de la personnalité de leur créateur, alors peut-être pourra-t-on à nouveau les chanter. Cela n’appartient peut-être qu’à Dieu. Lui seul décidera si, une fois détachée de son auteur, l’œuvre pourrait porter du fruit ou non.

« Il y a un moment pour tout, et un temps pour chaque chose sous le ciel » nous rappelle l’Ecclésiaste. Que ce temps de pause soit un temps pour rechercher la vérité et la justice.

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3 Comments

  1. Je salue l’honnêteté de votre réflexion, même si je ne suis pas d’accord avec vos conclusions.

    Ma réponse tient en deux points :
    1) Pour le moment il n’est question que d’une seule victime présumée et une enquête est toujours en cours.
    2) Chanter du Gouzes, c’est avant tout chanter des musiques de qualité sur des textes de qualité (la Parole de Dieu) avec une adéquation de la musique au texte.

  2. Hélas, André Gouzes n’a pas laissé des œuvres de grande qualité. Interrogez un musicien professionnel (écriture, harmonie, etc) et vous aurez une réponse rapide.

    Au passage, remarquons que de nombreux « compositeurs » récents ont fait scandale, et pas que pour leur musique : Fr. Ephraïm, du Jonchay…

  3. L’anonyme PL profite de l’occasion pour régler des comptes…
    La musique modale demeure incompréhensible pour les « musiciens » académiques formés dans les conservatoires…

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