La parabole du pharisien et du publicain, qui était lue à la messe le dimanche 26 octobre, est d’une clarté biblique. Elle condense en quelques lignes toute l’attitude de Jésus – illustrée à de nombreuses autres reprises à travers les quatre évangiles – envers les pieux hypocrites et « l’option préférentielle » de Dieu pour ceux qui se reconnaissent tels qu’ils sont : des pécheurs qui en appellent à la miséricorde de Dieu, même s’ils sont éloignés d’une pratique religieuse formelle.
Le propos est limpide et pourtant, cette parabole a longtemps suscité en mois un certain malaise. En l’écoutant, me venait le sentiment confus d’être pris au piège d’une argumentation un peu accablante.
Jésus invite en effet ses interlocuteurs à comparer ces deux figures. Mais comment le faire sans se projeter soi-même dans cette opposition entre le pharisien et le publicain, et ne pas se demander si l’on est plutôt pharisien ou publicain ? C’est d’ailleurs une question qui est souvent posée par les prédicateurs, sur cet évangile ou sur d’autres. Sommes-nous plutôt comme le lévite ou le samaritain ? Plutôt la bonne terre fertile ou le chemin caillouteux ? etc.
C’est là que le piège se referme, car il n’y a pas d’alternative possible ici. Qui peut en effet se dire « heureusement, moi, je suis comme le publicain, je ne suis pas comme le pharisien » sans tomber aussitôt dans le travers même que Jésus reproche au pharisien ?
Lorsque le grand saint Jean Chrysostome lui-même écrit en commentaire sur cet évangile : « Misérable sois-tu, toi qui oses porter un jugement sur la terre… As-tu encore besoin de condamner ce publicain… Que de suffisance dans ces paroles ! Pourquoi manifester un tel orgueil ? », que fait-il, sinon formuler un jugement moral sur le pharisien, ce qui le place lui-même dans une posture de supériorité ? Dès lors, ne devient-il pas à son tour un peu pharisien, à juger la posture de son voisin ?
Une telle démarche nous condamne fatalement à nous ranger parmi les pharisiens. C’est peut-être bon pour notre humilité, mais cela m’a longtemps chiffonné. C’est tout récemment que j’ai entendu cette parabole à frais nouveaux et pris conscience qu’en effet cette comparaison est un piège, mais que c’est justement ce dont elle veut nous libérer, et non pas nous y enfermer.
Car en réalité, dans l’orgueil de ce pharisien qui vient au temple pour s’admirer lui-même plus que prier Dieu, c’est aussi le venin de la comparaison qui est dénoncé. C’est la grande différence, en effet, entre le pharisien et le publicain : le pharisien se compare aux autres, alors que le publicain se contente d’examiner sa propre conscience face à Dieu.
Cela paraît presque bête à dire tellement c’est évident, une fois formulé ainsi, mais Jésus ne dénonce sans doute pas le pharisien qui se compare aux autres pour que nous fassions immédiatement la même chose ! À vrai dire, cette manière de s’interroger en se comparant aux deux personnages est une impasse.
Avec cette perspective, la formule finale de la lecture, « Qui s’élève sera abaissé, qui s’abaisse sera élevé », devient encore plus forte. C’est par rapport aux autres hommes que le pharisien tentait de s’élever, alors que c’est devant Dieu et lui seul que s’abaissait le publicain. D’ailleurs, comment pourrait-on s’élever soi-même devant Dieu ? C’est nécessairement par rapport aux autres hommes qu’on peut imaginer le faire, alors que face à Dieu, comment ne pas se sentir si petit ? C’est sans doute à cela que peut nous inviter ce texte : nous tenir devant Dieu, tout simplement, tel que nous sommes.
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